Une nouvelle Nouvelle Vague ?

     La Belle et la Bête est sortie il y a maintenant une semaine. L’occasion pour nous de revenir sur cette nouvelle petite résistance qui s'installe au coeur du cinéma français et qui vient de gagner, en ce début d’année, trois nouveaux jalons qui pourraient enfin permettre aux « genres » mal-aimés de se développer.
 

     Après le colossal succès surprise du Pacte des loups, on aurait pu supposer que ce dernier servirait de fer de lance à une nouvelle frange du cinéma hexagonal. Pourtant, l’essai resta unique et les tentatives de surfer sur la vague ne furent pas aussi nombreuses qu’espérées. On attendait donc de Gans et son producteur Grandpierre qu’ils relancent une nouvelle fois la machine d'un cinéma fantastique populaire. Et lorsqu’ils décidèrent de se lancer dans un film de conte de fée, genre on-ne-peux-plus fédérateur, les espoirs étaient de mise. En véritable Blockbuster français, que ce soit dans les moyens mis en oeuvre ou dans son casting attractif, La Belle et la Bête avait bien les atouts pour réitérer l’exploit du Pacte à une époque où les spectateurs n’attendent que ça. Et après les multiples scandales récents ayant encore un peu plus affaiblis l’image du cinéma français pour les spectateurs, le nouveau film de Christophe Gans s’impose comme le remède miracle qui, si le succès suit, pourrait peut être irrémédiablement changer la donne.
 

     Pourtant la Belle de Gans est loin d’être parfaite. Nanti de défauts considérables qui semblent découler en grande partie des travers et qualités même de son metteur en scène, autrement dit une générosité parfois mal contenue et une toujours aussi faible direction d’acteur contraignant le casting à quelques errances mal venues, le film réussit pourtant l’exploit de toucher au coeur alors même que son émotion semble absente. C’est que c’est la Bête que Gans veut belle. Contenue sous les traits d’un Vincent Cassel qui ne se cache pas, cette dernière imprime la rétine par la grâce de sa fabrication. Echappée des monstres de la Universal ou de la Hammer, elle est un personnage fascinant auquel le réalisateur offre un écrin tout aussi fort. Naviguant dans un univers d’une densité folle, elle est la clé de voute d’un film à l’ambition débordante qui risque pourtant de s’écrouler à tout moment. Heureusement, croyant dur comme fer à son récit universel, Gans ne quitte jamais un premier degré bienvenu et fonce jusqu’au bout dans la fantasy de son monde de cinéma. S’en allant aussi bien du coté de Myazaki que du Ridley Scott de Legend, le cinéaste parvient peut être pour la première fois de sa carrière à trouver une cohérence dans la multiplicité des images qu’il propose. C’est que le conte de fée est l’habitacle parfait à son exploration des genres.
 

     Proposant quelques images parmi les plus belles jamais vues dans notre beau pays, La Belle et la Bête s’impose comme un monument fragile mais bien réel. Une réussite qui ne doit jamais oublier ses défauts, auquel cas la prochaine entreprise ne pourra plus se voir sauvée par la sincérité réelle de son metteur en scène. Mais plus que tout, l’exceptionnel attrait du film comparé aux autres tentatives récentes se trouve dans sa formidable capacité à embrasser jusqu’au bout ses origines françaises. Nous ne sommes pas dans la reproduction de la cinématographie de nos voisins mais bien dans l’exploitation de nos propres racines. Finalement, n’était-ce déjà pas le cas du Pacte des Loups ?

     Pourtant, s’il y a bien un genre qui possède une vraie identité française, et qui pourtant est depuis plus de dix ans sous-exploité dans notre pays, c’est bien le polar. Genre majeur du cinéma français des années des années 40 à 80, il aura offert bon nombre de ses plus grandes œuvres, parmi lesquelles Quai des OrfèvresL’Assassin habite au 21Le Deuxième SouffleLe Cercle RougePolice Python 357Peur sur la ville ou encore Le Pacha.
 

     Largement sous-exploité et même méprisé en France depuis 20 ans, quelques rares réalisateurs tentent tout de même de le faire revivre depuis quelques années, et c’est le cas de Fred Cavayé. Avec ses deux premiers films, Pour Elle et A Bout portant, il avait déjà redonné des couleurs au genre, en signant deux œuvres maîtrisées et portées par une envie de cinéma que l’on retrouve peu en France. C’est ainsi qu’il est revenu depuis le 5 Février avec son nouveau film, Mea Culpa. Le film part d’une idée originale d’Olivier Marchal, reprise par la suite par Cavayé, qui décrit le film comme une synthèse entre ses deux premiers métrages, où le rythme sans temps mort d’A Bout Portant se mélange avec la profondeur des personnages de Pour Elle. Un choix également nécessaire face aux deux personnages principaux, qui ne sont plus ici des « Monsieur tout le monde » qui se retrouvent impliqués malgré eux dans une situation extraordinaire, mais deux flics dont la vie a basculé suite à un accident mortel. Avec ce pitch de départ, Cavayé réussit la synthèse enter ces deux précédentes œuvres.
 

     Mea Culpa est un vrai ride de plaisir, 1h30 d’action presque sans temps mort, où Fred Cavayé prend son pied, filmant fusillade en boite de nuit, bagarres à mains nues, et poursuite en voiture avec le même plaisir procuré au spectateur. Le réalisateur prend de l’expérience et sa mise en scène est bien plus ambitieuse que dans ses précédents films, bien aidée par la superbe photographie de Danny Elsen, dont les contrastes entre la lumière saisissante et l’obscurité profonde traduisent parfaitement le parcours du personnage interprété par Vincent Lindon. C’est l’autre point fort du film, qui parvient à développer en profondeur ses personnages principaux uniquement par la mise en scène. Le film ne comporte finalement que peu de dialogues, et la caractérisation progressive des personnages ne se fait qu’au travers de leurs actions, et l’évolution des relations entre eux ne passe pas par des paroles, mais par des gestes, des regards, ce qui est la marque des grands réalisateurs du genre, de Michael Mann à Henri Verneuil.
 

     Bien sur, Mea Culpa n’est pas exempt de défauts, entre un casting inégal, des dialogues parfois ratés et quelques situations incohérentes. Mais cela n’a finalement peu d’importance et ne gâche pas l’ambition et surtout la maîtrise formelle de Cavayé, qui offre à son spectateur un grand film d’action comme la France en fait trop peu, et un pur polar sec et violent, et en même temps profondément humain. Avec des réalisateurs talentueux et impliqués comme Fred Cavayé, le polar français peut encore avoir de beaux jours devant lui.

     On le comprend bien, alors que ces deux films semblent assumer leur statut d’oeuvres cinématographiques en élaborant un récit raconté uniquement par la mise en scène et s’émancipant ainsi de la supposée grande tradition française, ce sont les dialogues et la direction des acteurs qui semblent ne pas parvenir à suivre. Ainsi, la réussite parfaite ne se trouverait-elle pas dans l’absence de ces derniers ? C’est en tout cas ce que l’on pourrait être amenés à penser avec Minuscule, formidable film d’aventure qui prouve en seulement 1h30 que la France est aussi bien capable de fournir une grande épopée que de démontrer tout son potentiel technique.
 

     Adapté de la série éponyme, Minuscule raconte le périple d’une coccinelle qui se retrouve au coeur d’une confrontation entre fourmies noires et fourmies rouges. Littérale resucée du « Voyage du Héros » de Joseph Cambpell, fondement des plus grands récits d’aventure comme Star WarsLe Seigneur des anneaux ou Matrix, le plus grand mérite du métrage est d’assumer de bout en bout sa nature d’épopée. Construisant un vrai personnage qui réussit l’exploit de créer de l’empathie alors qu’il ne possède aucune ligne de dialogue, Minuscule déploie un sens du rythme et de la mise en scène qui devrait en redonner à beaucoup.
 

     C’est qu’en plus, le film de Hélène Giraud et Thomas Szabo permet à nos talents français de l’animation d’arrêter enfin d’oeuvrer dans l’ombre. C’est littéralement beau et impressionnant, mélangeant une multitude de techniques existantes et bénéficiant en prime d’une 3D qui a elle aussi tout compris. On retiendra à ce titre cette formidable course-poursuite aquatique qui ne manquera pas de rappeler à beaucoup l’une des meilleures scènes que nous ait jamais pondu Peter Jackson. On a vu pire comme références.

     Des références que Hélène Giraud et Thomas Szabo assument en les parsemant au sein de leur film pour alimenter et densifier leur narration. Minuscule revendique ainsi littéralement son statut d’oeuvre de genre, là où la plupart des films d’animations français ne semblent exister que dans un but pédagogique et ainsi remplir les étagères des écoles.

     En moins d’un mois, la France aura ainsi vu fleurir trois oeuvres aussi différentes que complémentaires qui prouvent la viabilité d’une plus grande variété de films au sein de notre cinématographie. Car si nous savions d’or et déjà que certains n’attendaient que ça, nous avons désormais la preuve que nous en sommes capables. La route est définitivement tracée, maintenant il n’y a plus qu’à l’emprunter.

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