"Mad Mel" Gibson

Lorsque l’on aperçoit Mel Gibson sur le tournage d’Expendables 3, et dans la bande annonce de Machete Kills, deux machines à recycler d’anciennes gloires (et même non gloires) du cinéma aujourd’hui abonnées aux Direct To DVD, un mélange de joie et de tristesse s’empare de nos âmes de cinéphiles. De la joie, car voir Mel Gibson jouer le bad ass face à Stallone éveille les sens du fan de cinéma bourrin des 80’s sommeillant à l’intérieur de votre serviteur. Mais également la tristesse de se dire que Gibson est tombé bien bas lorsque l’on regarde sa carrière.

Celui qui fut l’une des plus grandes stars du cinéma hollywoodien des années 80 et 90, aux côtés de Schwarzenegger, Stallone, ou Willis, se retrouve aujourd’hui à jouer les caméos chez Rodriguez (le seul homme à avoir engagé Steven Seagal au cinéma depuis 10 ans, il faut le rappeler) et dans le 3e épisode d’Expendables, histoire de faire quelques clins d’œil à l’Arme Fatale. Il avait même squatté récemment la case DTV avec son dernier film, Kill The Gringo. Mais, contrairement aux trois autres noms cités, Gibson ne doit pas ce revirement de carrière à des choix de films douteux. Non, il faut chercher du côté de son rapport à Hollywood, tumultueux, et qui s’est dégradé au fil des années, jusqu’à ce que cette dernière finisse par « abattre » l’acteur.

Car Mel Gibson n’a jamais fait ce que l’on attendait de lui, à la manière de son personnage dans Payback, le truand Porter, et du gimmick principal du film. Lorsque des gangsters, étonnés par son acharnement, lui demandent « quel intérêt de faire ça pour quelques pauvres 130 000 dollars », Gibson leur répondant alors « je ne le fais que pour 70 000 ».

 Né en 1956 dans l’Etat de New York, au sein d’une famille de 11 enfants, Mel sera fortement influencé par son père. Ce dernier, désapprouvant la Guerre du Vietnam, et refusant d’y envoyer ses garçons, emmène toute sa famille vivre en Australie. Là, il élève sa famille dans la foi catholique, et plus particulièrement dans celle de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, en rupture avec Rome depuis le concile Vatican II. Mel grandit donc entre tradition et sédition, dans une famille conservatrice qui n'en a pas moins rejeté son pays d'origine ainsi que l'autorité ecclésiastique qui représentait sa foi. 

C’est ici qu’il développera une personnalité torturée,  représente parfaitement ce qu’est Mel Gibson, dont l’image auprès du public fut longtemps très positive (célébré comme acteur et réalisateur, marié pendant plus de vingt ans à la même femme, sept enfants), mais dont les dérapages (alcool, opinions politiques, religieux) ont mis en avant cette dualité, et auront fini par lui coûter très cher, aussi bien professionnellement que personnellement.

C’est également en Australie que Gibson commence sa carrière d’acteur, par accident. En effet, un soir, Gibson sort la figure complètement abimée d’une rixe survenue dans un bar. Le lendemain, il accompagne l’un de ses amis pour un casting. C’est ici que le réalisateur repère la gueule de Mel, et lui propose de revenir passer une audition quelques jours plus tard. Il décrochera alors le rôle principal d’un très modeste film d’anticipation, où il incarne un flic voulant venger la mort de sa femme et de son fils, assassinés par des pirates de la route. Le film Mad Max devient un classique de l’anticipation, engendrera deux suites (une troisième est en cours), Gibson y montre déjà un goût prononcé pour les rôles extrêmes, la violence et la vengeance. Et surtout pour les personnages à la fois libres et habités par une pulsion de mort, des têtes brûlées constamment en décalage, voire en opposition, avec leur environnement, à la manière de l’acteur face à Hollywood. Qu'il s'agisse du journaliste risque-tout de L'Année de tous les dangers, ou du flic suicidaire de L'Arme fatale, toutes ses prestations suivantes seront marquées de ce sceau-là, imposant l'image d'une star à part et peu encline au glamour politiquement correct qu'aurait pu induire son physique de mannequin.

C’est pourtant cet aspect qui apportera à Gibson la reconnaissance en tant que réalisateur. En 1992, juste après le carton au box office de l’Arme Fatale 3, il réalise à la surprise générale l’Homme sans visage, un petit drame psychologique sur la condition de paria d'un homme défiguré. Le film, bien accueilli par la critique, permit à Gibson de se faire la main comme réalisateur, pour ensuite s’attaquer à un projet beaucoup plus ambitieux, Braveheart, impressionnant biopic de William Wallace, héros et martyr de l'indépendance écossaise qui fédéra les clans de son pays contre l'oppresseur anglais au XIIIe siècle. Le film est une très grande fresque historique, développant un vrai souffle épique, et Gibson faisant preuve d’un grand sens de la mise en scène et du spectacle, les impressionnantes et ultra violentes scènes de bataille ayant influencé la majorité des films historiques des années 2000. Le rôle de William Wallace correspond parfaitement à Gibson (en étant également un clin d’œil à ses origines écossaises), ce dernier étant même récompensé de l’Oscar du meilleur réalisateur.

Mais son caractère persévérant jouera par la suite des tours à l’acteur. Alors au sommet de sa carrière, dans les années 90, Gibson commence à faire de plus en plus scandales. Alors qu’Hollywood devient la place des Démocrates, les déclarations de Gibson sur la peine de mort, les homosexuels, et l’avortement, passent mal dans un milieu de plus en plus politiquement correct, et ce, malgré que ses amis les plus proches affirment que Mel est avant tout quelqu’un qui aime provoquer, et que ses déclarations relèvent surtout de blagues potaches. Mais l’acteur devient déjà une cible à Hollywood. Et, au début des années 2000, lorsque Mel Gibson le catholique traditionaliste annonce que son prochain film racontera les dernières heures de la vie du Christ, Hollywood s'inquiète du potentiel scandaleux d'un tel ­sujet entre les mains d'une forte tête. Craintes confirmées quand il révèle qu'il ne jouera pas dans le film, que celui-ci sera ­extrêmement violent, décrivant dans les moindres détails les tortures et supplices infligés au Christ, et que les dialogues ­seront en araméen! Pour les producteurs qu'il rencontre afin de financer son film, le projet est non seulement antipathique, mais, plus grave, ressemble à un véritable suicide commercial. Les portes se fermant les unes après les autres, Gibson joue à quitte ou double et sort les 30 millions de dollars de budget de sa propre poche. Hollywood ne lui pardonne pas son entêtement.

Avant la sortie du film, les échotiers se répandent en rumeurs alarmistes, prédisant à la star qu'aucun spectateur ne se ­déplacera pour voir un film en langue morte. Dans le même temps, alors qu’il n’est pas encore sorti, le film est déjà taxé d’antisémite par certaines organisations juives (des accusations ayant commencé avant même que le film ne soit tourné !). Au final, ces scandales ont surement été très utiles au film. Quelques mois plus tard, La Passion du Christ triomphe dans le monde entier, engrangeant plus de 600 millions de dollars de ­recettes et devenant l'un des films les plus rentables de l'année 2004. Mais le mal est déjà là, et Gibson sent déjà le vent tourner du côté d’Hollywood, il commence déjà à devenir une tête de turc pour l’industrie.

Mais « Mad Mel » ne se décourage pas, et part au Mexique tourner Apocalypto, l'histoire d'une chasse à l'homme sur fond de civilisation maya déclinante, avec des personnages qui s'expriment en maya yucatèque. Les organisations juives le rattrapent, et dénoncent encore un sous-texte antisémite, accentué par un nouveau dérapage de l’acteur, qui lui sera fatal professionnellement, et personnellement. Le 28 juillet 2006, l’acteur, arrêté complètement ivre au volant de sa voiture, il se laisse aller à une véritable explosion de colère s'achevant sur ces mots: «Putains de Juifs… Les Juifs sont responsables de toutes les guerres dans le monde.» Malgré des excuses publiques, la promesse de soigner son alcoolisme et une condamnation à trois ans de probation, le sort de Gibson à Hollywood est réglé. Des patrons de studio appellent au boycott pur et simple de l'acteur, tandis que d'autres personnalités du monde du cinéma l'insultent publiquement. Personnellement, ce dérapage mettra fin presque instantanément à son mariage avec Robyn, épouse discrète qui a élevé leurs sept enfants avec une abnégation rare, lui a beaucoup passé au cours de leur mariage, notamment les beuveries et les coups d'éclat médiatiques qui ont terni son image. 

Après quelques années plus discrètes, passées à tenter de monter des projets, Gibson replonge en 2010, accusé de maltraitance. Alors amant de la pianiste russe Oksana Grigorieva, cette dernière enregistre puis rend publique une conversation téléphonique dans laquelle un Mel Gibson hystérique l'abreuve d'insultes, de menaces physiques, de propos racistes et sexistes (l'enregistrement est sur internet). ­Extrait: «Tu ressembles à une foutue pute en chaleur et si tu te fais violer par une bande de ­nègres, ça sera de ta faute!».  La faute de trop, qui le voit complètement lâché par Hollywood. Dans la foulée du scandale, la chaîne de télé ABC annule une série qu'elle développait avec Mel Gibson, tandis que Leonardo DiCaprio se retire du futur projet du réalisateur, un film de Vikings dont il devait être la tête d'affiche. A l'annonce de sa participation au film Very Bad Trip 2, l'acteur comique Zach Galifianakis, révélation du premier volet, menace de ne pas tourner s'il doit donner la réplique à Gibson, qui est finalement remercié par les producteurs. Comme Martin Riggs s’adressant à Murtaugh dans l’Arme Fatale, « Personne ne veut bosser avec moi ».

L’acteur est désormais devenu une véritable tête de turc à Hollywood, dont on se gausse presque quotidiennement. Son film La passion du Christ, alors qu’il est l’un des films les plus rentables de l’histoire, est à peine évoqué dans les magazines spécialisés, et depuis ce dernier, il est obligé de s’autoproduire pour monter l’un de ses projets. Si ses dérapages sont largement condamnables, Mel Gibson a surtout eu le grand tort d’être différent à Hollywood, d’être une grande gueule, loin du conformisme et du politiquement correct, bref, quelqu’un qui ne se vend pas, et qui s’assume. Ce que confirme l’une des rares personnes à le soutenir encore aujourd’hui (on peut compter aussi Danny Glover ou Robert Downey Jr.), Jodie Foster : «Une des choses que je respecte le plus chez Mel, c'est qu'il ne se vend pas. Il ne va pas chez Oprah Winfrey toutes les cinq minutes pour raconter sa vie. Il n'est pas continuellement en train de s'excuser ou de mettre en avant ses cures de désintoxication. Du coup, il y a forcément beaucoup de choses à son sujet que vous ne connaissez pas.».

Mel Gibson manque beaucoup à Hollywood, le problème c’est qu’Hollywood ne s’en rend pas encore compte.

 

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