A l'occasion de la sortie demain de Birdman sur les écrans, nous avons décidé de revenir sur certains des plus beaux plan-séquences de l'histoire du cinéma.
Avec Birdman, Emmanuel Lubezki se retrouve une nouvelle fois oscarisé. Plus que tout, le film l’impose à la fois comme l’un des chef-opérateurs les plus expérimentateurs de sa génération, et en même temps comme l’un des plus grands artisans du plan-séquence.
C’est de cette figure fantasmée du cinéma que nous parleront ici. Par sa capacité ostentatoire, le plan-séquence a toujours été vu comme l’un des accessoires les plus jubilatoire du 7ème art. Un terme finalement quelque peu galvaudé, ayant tendance à désigner un simple plan long et un peu plus virtuose que la moyenne. Une manière pour certains de se démarquer, prétextant l’utilisation du plan-séquence comme pour cacher la platitude d’une mise en scène anémique. Ainsi, les blockbusters ayant tenté l’expérience du « plan-séquence » en tant que climax visuel se sont succédés ces dernières années. Pourtant, derrière cette multitude de cartes de visite techniques, certains metteurs en scène arrivent encore à marquer la rétine par leur impressionnante maitrise et surtout leur absolue compréhension de la mise en scène.
Voici une selection, forcément non-exhaustive et totalement subjective, des plan-séquences les plus marquants vus au cinéma.
Gravity, Alfonso Cuarón
Grand vainqueur des Oscars l’année dernière, Gravity jouait aussi la carte du défi technique. Aidé aussi par Emmanuel Lubezki, Alfonso Cuarón décide d’apporter une nouvelle étape à l’immersion du spectateur. Utilisant différentes techniques pour arriver à ses fins, le cinéaste parvient à accoucher d’une oeuvre aussi révolutionnaire sur le plan technique qu’éprouvante pour les nerfs. De cette heure et demi, on note surtout cette incroyable ouverture qui aura marqué la rétine, permettant aux spectateurs de pénétrer dans l’espace comme jamais auparavant. Association de la 3D et d’une caméra à la liberté infinie, le film impose une dimension forcément rollercoaster sans ne jamais prendre parti sur l’immersion cherchée par le cinéaste.
Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, Steven Spielberg
S’il est rempli d’une multitudes de fulgurances visuelles, c’est bien pourtant pour son phénoménal plan-séquence que Les Aventures de Tintin reste gravé dans les mémoires. Justifiant peut être à lui-seul l’existence de la performance capture, le plan-séquence du film fait office de véritable morceau de bravoure dans l’histoire du cinéma. Une scène d’action hallucinante à la rythmique implacable, démontrant une fois encore le génie de Steven Spielberg dans la gestion de l’espace. Réussissant à ne jamais perdre le spectateurs, il se sert du McGuffin comme d’une figure visuelle concrète apte à justifier ses hallucinants mouvements de caméra. Un plan d’une complexité absolue qui n’aurait tout simplement jamais pu voir le jour sans l’utilisation de la performance capture.
Death Sentence, James Wan
Jusqu’alors, James Wan s’était illustré uniquement en artisan du genre. Après le premier Saw et Dead Silence, le cinéaste avait décidé de s’éloigner un peu de l’imagerie horrifique qu’il avait cultivé pour se lancer dans un vigilante movie, un vrai. Intégralement porté par la rage de Kevin Bacon, père de famille lambda transformé en chien sauvage, le film avait marqué par cette incroyable séquence inattendue : Poursuivi par ses assaillants, le personnage tente de fuir en se réfugiant dans un parking de plusieurs étages. Une traque filmée du point du vue du fuyard et sans aucune coupe, captant le moindre de ses souffles. Ereintant et impressionnant, ce coup de maître avait dès lors propulsé le réalisateur dans la cour de ceux sur lesquels il fallait vraiment compter.
Les fils de l’homme, Alfonso Cuarón
Sorti en France assez discrètement, Les fils de l’homme permit pourtant à Alfonso Cuaron de s’imposer en un claquement de doigt dans la cour des grands. Film d’anticipation sous forme de course contre la montre, le métrage met surtout en avant une maîtrise visuelle délirante qui laissait entrevoir le futur Gravity. Trois séquences auront littéralement marqué leur temps, d’une ouverture permettant de découvrir ce Londres futuriste en un mouvement de caméra, à ce final de guérilla urbaine immersif, tendu et assourdissant. Pourtant, c’est bien « la séquence de la voiture » qui aura permis au film de s’imposer durablement. Un guet-apens inattendu, nerveux et dramatiquement intense. Trois morceaux de bravoure dont l’utilisation du plan-séquence ne se révèle jamais gratuite, servant efficacement à la narration de l’urgence voulue par le cinéaste.
La Guerre des mondes, Steven Spielberg
Bien avant le plan-séquence de Tintin, Steven Spielberg s’était déjà imposé comme un cinéaste du mouvement. Dans La Guerre des mondes, lui et les artisans d’ILM avaient imaginé cette incroyable séquence de fuite en voiture. D’un mouvement circulaire constant, symbolisant aussi bien la panique ambiante que ce cocon familial entrain de se reconstruire, Spielberg pose la note d’intention de son film. Au loin, un pont se fait littéralement détruire. Pourtant, la caméra ne laisse jamais ses personnages sortir du champs, laissant le reste aux autres. Il ne s’agira que de cette famille, fuyant pour sa vie. C’est ironiquement sur ce film que les détracteurs de Spielberg s’acharnent le plus, prétextant un patriotisme exacerbé, un Tom Cruise conquérant et de la destruction massive ne valant pas plus que n’importe quel autre blockbuster du genre. Pourtant, à peine trois minutes du film suffiront à montrer l’armée se battre contre l’assaillant. Avant ça, le personnage incarné par Tom Cruise fuit aussi bien le danger que ses obligations. Un anti-héros comme on en montre peu, contraint malgré lui à surveiller plus que ses arrières. En un seul plan, tout est déjà dit.
Gangs of New York, Martin Scorsese
Plusieurs plan-séquences dans la carrière de Martin Scorcese auraient pu figurer dans cette liste. Pourtant, loin d’être le plus long, celui de Gangs of New York figure comme l’un des plus abouti de sa filmographie. En un mouvement latéral, la caméra suit les immigrants irlandais débarquer sur le continent, puis s’inscrire dans les rangs américains pour la guerre de Secession, avant d’embarquer sur un bateau, pour enfin montrer le retour de leurs corps dans des cercueils. Comme une pause dans la narration du film, ce plan-séquence laisse entrevoir le projet initial entamé par Scorsese avec la réalisation de Gangs of New York : mêler grande et petite histoire pour raconter la naissance d’une nation. Il y parvient en un unique plan d’une force rare, d’une infinie complexité et en même temps d’une vraie simplicité.
Boogie Nights, Paul Thomas Anderson
Adepte de Scorsese, Paul Thomas Anderson aura mis du temps à s’émanciper des canons de son maître. Dès Boogie Nights, le cinéaste en reproduit les méthodes pour mieux répondre au besoin de son histoire. On aurait pu citer Magnolia, voir Punch Drunk Love. Pourtant, c'est la maitrise de ce second film qui impressionne ici. Un plan introductif complexe et dynamique présentant les différents personnages avant de s’arrêter sur le visage du principal, contemplant avec envie de ce monde qu’il aimerait intégrer. Un excès de virtuosité qui pourtant colle parfaitement à l’univers dans lequel le film évolue, où la musique rythme les exubérances de personnages dont l’apparente réussite cherche à cacher un mal-être commun.
Snake Eyes, Brian De Palma
Forcément, parler de plan-séquence sans mentionner son artisan le plus remarquable serait une hérésie. En héritier d’Alfred Hitchcock, Brian De Palma aura revisité la filmographie de son icône jusque dans ses figures visuelles les plus fortes. Roi de l’ostentatoire, il se ré-approprie les techniques les plus exubérantes (travelling compensé, split-screen) pour se créer une identité finalement unique. Se faisant, il s’impose comme l’un des maîtres dans l’art du plan-séquence, parsemant ses métrages de plans virtuoses faisant indubitablement partis de sa patte. Parmi toutes ces fulgurances, on a décidé de s’arrêter sur Snake Eyes. A la limite du film-concept, exercice de style décortiquant l’image pour atteindre la vérité, le film débute par un plan-séquence (faux, certes, mais seul l’effet recherché compte) de près de 15 minutes qui sera analysé à maintes reprises et sous tous les angles au cours du film. L’intégralité de l’oeuvre tourne autour de cette introduction, voyant se succéder un très grand nombre de personnages avant un match de boxe qui tourne au drame. On est pas loin du méta-film.
La Corde, Alfred Hitchcock
Remontant la corde des influences, il aurait été illogique de ne pas s’arrêter sur Alfred Hitchcock. En 1948 avec La Corde, il réalise le projet fou de fabriquer un film en un plan unique. Déjouant les contraintes techniques d’alors (une bobine ne peut filmer que 10 minutes), le cinéaste réussit son pari et apporte une dynamique remarquable à ce huis-clos très théâtrale qui donne l’impression au spectateur d’être un témoin invisible auprès des personnages. Nul doute que s’il avait pu, Alfred Hitchcock aurait tenté l’expérience de la 3D. Il faudra attendre 6 ans et son Crime était presque parfait.